Dans les pas des indignés

Où sont passés les Indignés ? Depuis l’occupation médiatique du parvis de la Défense en novembre dernier, plus de signe de vie ou presque du mouvement des 99%. En retrait, ils préparent leur prochaine action. Rendez-vous, dans un café du 11ème arrondissement pour une réunion de travail.

C’est dans l’arrière-salle sombre de « chez Oscar », que tout a commencé il y a huit mois. A deux pas de la place de la Bastille, le lieu se prête bien aux conspirations des révolutionnaires de tous temps. Peu d’éclairage, musique calme, l’endroit est… désert. Pas un chat, alors qu’une réunion des Indignés est censée s’y tenir. Le cafetier m’invite à patienter dans un coin de la salle. Un appel téléphonique me prévient que la rencontre aura lieu en retard. Un, deux, ils ne seront que trois ce soir, les « 99% » (par opposition au « 1% » qui les dirige). C’est peu. Chacun est arrivé séparément. Pour brouiller les pistes ? Non, simplement parce qu’ils ne se connaissaient pas. Délia et Marie-Ange se trouvent rapidement des points communs, et bientôt, ces deux quadragénaires discutent comme de veilles connaissances. Arrivé un peu plus tard de Toulouse, Pierre, timide et emprunté, s’excuse presque de déranger le duo. Nous voilà au complet. Trois gouttes perdues dans le grand bain de la démocratie participative. Ils s’attablent devant un café afin de préparer leur prochaine marche autour de la capitale pour le premier anniversaire du groupement en mai. Rassembler à nouveau pour relancer un mouvement qui prend l’eau.

« Froid, distance, répression »

Delia, d’origine espagnole, a le teint mat et les cheveux foncés de son pays natal. Optimisme inaltérable, pointe d’idéalisme, peut être tire-t-elle son enthousiasme des marches auxquelles elle a déjà participée à Madrid. Cette ancienne médiatrice familiale a arrêté de travailler pour se consacrer à plein temps aux actions des Indignés. Sur fond de music lounge, tous trois s’interrogent sur la faible mobilisation du mouvement depuis plusieurs semaines. « Le froid empêche toute action en extérieur et la distance démotive les membres dont beaucoup vivent en banlieue » regrette Délia. Marie-Ange attribue plutôt la démotivation à la crainte de la répression policière. Cette petite femme discrète est elle aussi une indignée à temps complet. Comment gagne-t-elle sa vie ? Elle ne le dira pas « pour ne pas créer de stéréotypes sur les Indignés ». Son visage s’anime et son ton devient incisif, lorsqu’elle raconte, lèvres crispées, comment les CRS les ont délogés devant la grande arche de La Défense le 4 novembre : « les huit à neuf charges successives et sans sommations », les « coups de matraques » et les « sale pute » des forces de l’ordre, face aux indignés qui tentaient de dépliaient leurs tentes sur le parvis.

La discussion des rebelles pacifistes prend une tournure militaire…

Délia recentre sur l’ordre de jour. « Une marche se prépare trois mois à l’avance car il faudra ensuite préparer le terrain et constituer des AG dans les villes à traverser » annonce-t-elle. Penchée sur un minuscule plan, elle a chaussé des lunettes tout aussi microscopiques. Traçant au crayon à papier un itinéraire autour de Paris, elle imagine les étapes, compte les kilomètres. « A quelle vitesse on marchait en moyenne en Espagne ? » demande-t-elle à Marie-Ange. « Vite » répond laconiquement l’intéressée. A peine évoqués, rarement tranchés, les trois conjurés survolent ces préparatifs sans prise de note. « 35 km ! C’est la longueur totale du boulevard périphérique », s’exclame Pierre, après avoir consulté son téléphone portable, heureux de contribuer enfin au débat. Pierre lui a un emploi, et a profité d’un congé pour venir aider ponctuellement les Indignés. Chaussures vernies, chemise à rayure, rasé de près : pas vraiment le stéréotype de l’insurgé. Les autres conservent leur distance avec ce désobéissant en costume. La discussion des rebelles pacifistes prend une tournure militaire : « Il nous faudra aussi des camions pour entasser le matériel et les bagages » enchaîne Délia. « Le frère de Mathias a un camion », réfléchit Marie-Ange à voix haute. « Il ne faudra pas non plus négliger la sécurité car ces marches attirent beaucoup de SDF et d’alcool », prévient Délia.

« Je ne suis même pas sûr que la marche pourra avoir lieu » lâche Délia, dans un moment de découragement. Même le patron du café, qui soutient patiemment le mouvement depuis le premier jour, annonce la fermeture de l’établissement. Dehors sous l’averse, chacun repart, de son côté. Le dernier « On se tient au courant ? » reste sans réponse.

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